Situation de sécurité alimentaire dans les zones de production de cacao au Cameroun: Cas des régions du Sud-Ouest et du Centre

Le cacao est la principale culture de rente et de subsistance des petits agriculteurs des régions de Centre et du Sud-Ouest du Cameroun. Cette position stratégique de culture permet-elle aux familles de productrices d'avoir un niveau de sécurité alimentaire satisfaisante? 
La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont à tout moment un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive pour satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. Elle est basée sur 4 principes suivants: (i) Accès (capacité à produire sa propre nourriture et avoir ainsi les moyens de le faire, ou la capacité d'acheter de la nourriture et donc d'avoir un pouvoir d'achat suffisant pour le faire), (ii) Disponibilité (quantités suffisantes de nourriture, que ce soit de la production nationale, des stocks, des importations ou de l'aide), (iii) Qualité ou utilisation (aliments et régimes alimentaires d'un point de vue nutritionnel, sanitaire mais aussi socioculturel) et (iv) Stabilité (capacités d'accès et donc prix et pouvoir d'achat, disponibilité et qualité des aliments et des régimes alimentaires). C’est donc le but d’avoir la situation dans les zones de production du cacao au Cameroun que nous avons mené la présente étude.
Deux arrondissements dans les grandes régions de production de cacao ont été pris comme site d’étude. Il s’agit de l’arrondissement de Ngomedzap  dans la région du Centre et Muyuka dans la région du Sud-Ouest. Dans ces communautés, l'accès aux produits alimentaires dépend en grande partie de ce que les familles d'agriculteurs cultivent (pour leur subsistance) et, dans une moindre mesure, de ce qu'ils peuvent acheter. Les ventes de fèves de cacao constituent la plus grande source de revenu du ménage. Cependant, la majeure partie des revenus du cacao est gagnée au cours des derniers mois de l'année, entre septembre et décembre, les familles dépendant des ventes d'autres cultures vivrières au cours des autres mois de l'année. Les prix du cacao fluctuent d'un mois à l'autre et d'une année à l'autre, car ils dépendent des marchés internationaux. La fluctuation des prix du cacao affecte l'achat d'énergie par les familles, l'accès aux services de santé et finalement leur bien-être.
La méthode de mesure choisie pour cette étude est l’échelle de l’insécurité alimentaire basée sur les expériences, dont la dénomination anglaise est : Food Insecurity Experience Scale (FIES)
La FIES permet de mesurer l’accès aux aliments des individus ou des ménages. Elle mesure la gravité de l’insécurité alimentaire en fonction des réponses des personnes à des questions concernant leur capacité à se procurer des aliments adéquats. Cette approche de la quantification de la sécurité alimen Options
taire constitue un changement important par rapport aux méthodes traditionnelles qui évaluaient des facteurs comme la disponibilité de la nourriture, ou bien des conséquences telles que la mauvaise qualité de l’alimentation, les insuffisances anthropométriques et autres signes de malnutrition.
La mesure de l’indice d’expérience d’insécurité alimentaire par les communautés se fait au moyen d’un protocole constitué de 8 questions permettant de mesurer le niveau d’accès des ménages aux aliments. La période considérée pour notre expérience d’insécurité alimentaire est de 12 derniers mois.
Ce protocole permet d’avoir des réponses claires sur la question de savoir si à un moment donné au cours des 12 derniers MOIS, les membres du ménage se sont  trouvés dans une situation où, faute d’argent ou d’autres moyens:
1)       ils ont eu peur de ne plus avoir assez à manger?
2)       ils ne pouvaient pas manger des aliments nourrissants et bons pour la santé?
3)       ils mangeaient presque toujours la même chose?
4)       ils ont dû sauter un repas?
5)       ils n’ont pas mangé autant qu’il aurait fallu?
6)       il n’y avait plus rien à manger à la maison?
7)       ils ont eu faim mais n’ont  pas mangé?
8)       ils n’avaient rien mangé de toute la journée?
La FIES s’appuie sur une expérience bien ancrée de l’insécurité alimentaire qui se divise en trois domaines: incertitude/anxiété, variation de la qualité de l'alimentation et variation de la quantité de l’alimentation.

Le degré d’insécurité alimentaire associé à une personne interrogée peut être situé sur l’échelle en fonction du nombre de réponses positives aux questions (quantité de comportements ou d’expériences déclarés). Ces mesures servent ensuite à classer les personnes interrogées dans différentes catégories d’insécurité alimentaire que sont : (i) l’insécurité alimentaire faible, (ii) l’insécurité alimentaire modéré et (iii) l’insécurité alimentaire grave.


L’échantillon de ménages choisi dans cette étude était constitué de 153 ménages, dont l’âge des interlocuteurs varie entre 14 et 78 ans dans chacun des sites. Dans ces ménages, 158 enfants de 6 à 59 mois ont été identifiés dans la région du Centre et 73 enfants de 6 à 59 mois dans le Sud-Ouest.
Le dépouillement des questionnaires a montré que seulement deux possibilités de réponses ont été données par nos interlocuteurs. Il s’agit de « YES ou 1 » et « NO ou 0 »
L'analyse de ces données a été faite en tenant en compte des éléments ci-dessous obtenus en compléments d'informations associés à notre trame d'enquête.
1)     les sources d’approvisionnement en aliments pour tous les ménages de cette contrée sont l’achat et la production personnelle ;
2)      pour les aliments locaux, tous les ménages disposent des champs pour la production ;
3)      le moment de réalisation de cette enquête est la période de bas revenus et de rareté d’aliments locaux. Donc représente la période la plus dure de l’année ;
4)      s’inquiéter pour un ménage de ne plus avoir assez à manger est un devoir qui les pousse chaque jour à chercher de quoi se nourrir demain (aller au champ ou faire d’autres activités génératrices de revenus);
5)      une quantité de nourriture jugée insuffisante pour un ménage peut être suffisante sur le plan nutritionnel en fonction de l’activité physique de la période,
6)   en général, seulement deux repas sont programmés par jour dans le village, aux jours comme les samedis où tous les membres du ménage vont au champ, le seul repas de la journée est celui du soir. Au cours de la journée, les membres n’ont pas de nourriture. Pour ces membres c’est une expérience de faim, mais, l’analyse montre que ce n’est pas le manque de ressources qui est à l’origine car, les aliments crus sont disponibles au champ.

 Les résultats obtenus pour les réponses aux questions sont les suivantes:
Dans la région de Sud-Ouest, on note qu'au cours de 12 derniers mois précédant notre enquête,
  • 78,43 % des ménages de Muyuka se sont inquiétés de ne pas avoir assez à manger ;
  • 81,04 % estiment avoir consommé des repas peu sains et peu nutritifs par manque de ressources ;
  • 65,36 % déclarent avoir consommé les mêmes aliments par manque de ressources pour varier ;
  • 69,93 % de ménages ont été contraints de sauter un repas par manque de ressources pour s’enquérir ;
  • 71,24 % ont consommé moins que ce qu’il aurait fallu pendant au moins un repas ;
  • 36,60 % ont vécu au moins une fois un moment où il n’y avait rien comme nourriture à la maison ;
  • 62,74 % de nos interlocuteurs ont eu faim et n’ont pas eu quelque chose à manger ;
  • 16,99 % ont eu à passer au moins toute une journée sans manger.


Dans la région de Centre, on note qu’au cours de 12 derniers mois précédant notre enquête, 
  • 86,18 % des ménages de Ngomedzap se sont inquiétés de ne pas avoir assez à manger ;
  • 78,30 % estiment avoir consommé des repas peu sains et peu nutritifs par manque de ressources ;
  • 49,34 % déclarent avoir consommé les mêmes aliments par manque de ressources pour varier ;
  • 46,71 % de ménages ont été contraints de sauter un repas par manque de ressources pour s’enquérir ;
  • 64,47 % ont consommé moins que ce qu’il aurait fallu  pendant au moins un repas ;
  • 26,68 % ont vécu au moins une fois un moment où il n’y avait rien comme nourriture à la maison ;
  • 48,02 % de nos interlocuteurs ont eu faim et n’ont pas eu quelque chose à manger ;
  • 8,55 % ont eu à passer au moins toute une journée sans manger.

Compte tenu du fait que la FIES s’appuie sur une expérience bien ancrée de l’insécurité alimentaire qui se divise en trois domaines: incertitude/anxiété, variation de la qualité de l'alimentation et variation de la quantité de l’alimentation.
Le degré d’insécurité alimentaire associé à une personne interrogée peut être situé sur l’échelle en fonction du nombre de réponses positives aux questions (quantité de comportements ou d’expériences déclarés). Ces mesures servent ensuite à classer les personnes interrogées dans différentes catégories d’insécurité alimentaire.

Les critères ci-dessous seront utilisés pour catégoriser le degré de gravité d’insécurité alimentaire des ménages :
  • Ménages à insécurité alimentaire grave : Inquiétude de se procurer de la nourriture + qualité et variété des aliments compromis + baisse de quantité et repas sautés + expérience de la faim ;
  • Ménages à insécurité alimentaire modéré (Niveau 2) : Inquiétude de se procurer de la nourriture+ qualité et variété des aliments compromis + baisse de quantité et repas sautés ;
  • Ménages à insécurité alimentaire modéré (Niveau 1) : Inquiétude de se procurer de la nourriture+ qualité et variété des aliments compromis
  • Ménages à insécurité alimentaire faible : Inquiétude de se procurer de la nourriture ;
  • Ménages ayant une alimentation assurée : ménages ayant répondus « NON ou 0 » à l’ensemble des huit questions.

La mesure de l'insécurité alimentaire des ménages nous donnent les résultats ci-après.
Dans le Sud-Ouest, 

Il ressort de ce tableau que  16,99 % des ménages de l'échantillon ont connu une insécurité alimentaire grave, 57,51 % une insécurité alimentaire modéré et seulement 21,56 % avaient une situation alimentaire stable au cours des 12 derniers mois.

Dans le Centre,

Il ressort de ce tableau que  5,26 % des ménages de l'échantillon ont connu une insécurité alimentaire grave, 40,13 % une insécurité alimentaire modéré et seulement 13,81 % avaient une situation alimentaire stable au cours des 12 derniers mois.

En conclusion, le niveau de sécurité alimentaire des ménages n'est pas bonne. Environ 45 % de la population sont en insécurité alimentaire grave dans le Centre et 74% de la population dans le Sud-Ouest. Cette situation, extrêmement grave nous amène à nous poser la question de savoir: quelles stratégies pouvons nous mettre en place pour faire prendre conscience aux ménages de leur état et les amener à intégrer dans leurs systèmes de production de nouvelles habitudes tels que le jardin de case, la diversification des produits de leur exploitation, les cultures de contre saison, le stockage et la conservation des produits récoltés sans oublier une bonne gestion des revenus issus de la vente de cacao?

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